Bruno Marzloff est sociologue, spécialiste de la ville et de la mobilité, a fondé l’institut de recherche Chronos qui s’intéresse particulièrement aux questions de l’urbanisme et de son évolution. J’ai rencontré Bruno il y a précisément 18 ans lorsque je faisais mon mémoire de fin d’étude, il m’avait alors gentiment reçu et aidé pour mon projet autour du temps comme facteur clef de succès du 21ème siècle. Aujourd’hui je le reçois pour parler de son sujet de prédilection, à savoir, la ville.
Nous avions déjà parlé avec Stéphane Hugon d’un retour à la nature et à la naturalité mais ici, nous plongeons beaucoup plus sur ce qui constitue les contradictions de la ville.
En effet, je constate dans mes envies personnelles et dans celles de mes amis, une envie impossible de vouloir retrouver de la nature tout en profitant des avantages de la ville, j’ai la sensation qu’il y a un mouvement vers plus de naturalité et c’est donc de cela dont nous parlons ensemble.
La ville est devenue insupportable
La ville est aujourd’hui un corpus très hétérogène qui intègre des monstres comme Jakarta, Lagos ou Shanghai et ses 80 millions d’habitants mais également selon définition française des structures de plus de 20 000 habitants. Dès lors, il est difficile de lui donner une définition stricto sensu. Aujourd’hui, on ne sait plus très bien où sont les limites de la ville et nous sommes dans l’incapacité de maîtriser ce développement. Finalement, selon Bruno Marzloff, une des caractéristique essentielle de la ville, c’est celle de l’hébergement de flux (humains, mode de transports, marchandises, touristes, mafia, commerces) et qui domine la question de la ville car ces flux ne sont absolument pas maitrisés. En reprenant cette accroche publicitaire du TGV « prenez le temps d’aller vite », nous discutons avec Bruno de ce paradoxe complexe mais qui exprime bien la situation dans laquelle se retrouve beaucoup de citadins. Selon Bruno Marzloff, c’est le lot de ces derniers de la gérer d’ailleurs et c’est évidemment un équilibre complexe à trouver. Car la pression formidable de la ville, les injonctions permanentes des notifications, tout ce mouvement représentent l’énergie de la ville mais en même temps, en tant qu’être humain, nous avons besoin et nous cherchons une forme de ville apaisée. Cette ville est devenue insupportable. Si d’un coté il existe un rejet de tous les excès, ceux de la ville tentaculaire et de l’ensemble des séquelles liées (bruits, temps perdus, pollution, chereté), de l’autre, cette ville génère un effet centrifuge principalement lié au travail.
Dès lors, plus la ville est importante plus elle définit des déplacements subits (travail, ressources utiles, etc…). Ces derniers sont devenus ingérables par les villes d’ailleurs en particulier car les politiques ont un temps de décision différent du temps de développement des villes. Ces derniers ne réfléchissent qu’à se faire réélire alors qu’il faudrait une réflexion profonde sur la ville et ses flux. Au final comme le relève Bruno Marzloff, 48% des Européens souhaitent résider ailleurs que là ou ils habitent actuellement mais ce chiffre devient vertigineux puisqu’il atteint 70% quand on est dans la grande périphérie parisienne. Sans compter que la ville génère énormément de solitude. Ainsi, il a été prouvé que la solitude est inversement proportionnelle à la densité d’une ville. De manière contradictoire, on aime aussi le sentiment d’anonymat que la grande ville procure.
Les envies d’une autre ville
On se rend compte que la ville est construite sur une logique d’étalement de ses fonctions. Elle a été pensé pour être reliée par l’automobile mais force est de constater que nous sommes entrés dans une impasse. Pourtant on fait perdurer son mode de fonctionnement car on n’arrive pas à entrer dans une rupture. On a envie de proximité par exemple, de participer à des échanges entre voisins mais peut on fabriquer de la ville sur la ville se demande Bruno Marzloff. On cherche de la familiarité, de la communauté dans la ville. Nous cherchons également une ville dans laquelle nous pouvons accéder à pied à l’ensemble des éléments dont nous avons besoin. Et évidemment, une ville plus « nature », une ville plus maitrisée. Mais la « ville nature » n’existe pas en réalité et s’il existe une demande très forte de s’évader de la ville, pour beaucoup de citadins, la réalité financière est qu’il y a une impossibilité de le faire. Le rêve est donc de s’installer dans une petite ville à coté de la grande pour essayer de tirer profit des 2 mais, une fois encore, la contradiction est difficile à gérer. Pour remettre de la nature dans la ville, les citadins plébiscitent des jardins partagés, ils veulent « faire ensemble » et souhaite des espaces actifs dédiés à la nature. Toutefois, ces derniers ne sont pas au programme des politiques car ce ne sont pas des mesures qui les feraient réélire.
Et vous? comment vous sentez vous dans votre ville? Dans votre vie? Que vous soyez citadins ou pas, il serait intéressant de comprendre comment vous avez trouvé votre équilibre.
Comments